Ça n’arrive guère dans les parages, même en février, mais il fait drôlement froid. En quelques jours, le réconfortant climat méditerranéen s’était transformé en un hiver glacial comme il en a rarement connu. Stéphane, juché sur son scooter ne sentait plus le bout d’un nez trop habitué à humer la douceur des embruns, et s’efforçait de ne pas céder face au vent. Fort heureusement, il pouvait compter sur des gants de ski flambant neufs, tout juste achetés en vue d’un séjour prochain au ski à Praloup.
Qu’ils semblent loin, les apéros face au coucher de soleil aux doigts de roses et de violettes, le sable chaud sous les tongs usés et décolorés, la fraîcheur vivifiante des calanques, l’odeur familière de saleté et de mazout flottant autour du Vieux Port. Plus rien n’existait plus, plus rien ne comptait si ce n’était en finir avec ce vain combat face aux éléments, le long d’une Corniche qui n’en finissait plus. L’œil verse une larme de deuil glacée tandis que le vent violent s’engouffre dans le moindre interstice d’une tenue étrangement composée. A la guerre comme à la guerre, il avait jeté sur ces épaules ce qu’il avait trouvé de plus chaud. Pourvu que personne ne le voit ainsi vêtu.
Le froid changeait tout. Était-ce pour cela que ses héros Olympiens avaient été tenus en échec par leurs ennemis lyonnais dimanche dernier ? Il y avait encore une semaine à attendre avant un bonheur possible, en Coupe de France, contre l’obscur club de National de Bourg -Péronnas. Stéphane passait chaque jour devant le Vélodrome, et chaque jour il contemplait cette masse géométrique, semblable à un vaisseau interstellaire de porphyre empli d’envahisseurs, posé en pleine ville, obligeant le peuple indigène à lui vouer un culte aveugle, proposant du divertissement en échange de dévotion religieuse. En remontant le boulevard Michelet, Stéphane pensait à la prochaine messe, et à cette nouvelle occasion de mettre le feu. Un feu qui prenait lentement forme sous ses yeux, en même temps que ses sens lui revenaient, sous la forme d’une odeur âcre. Devant lui, la Maison du Fada était en train de brûler. Il n’avait jamais compris l’intérêt que les touristes portaient à ce bloc de béton aux niches multicolores. A l’école, on lui avait un jour enseigné des mots étranges comme Modulor ou suite de Fibonacci, mais il se demandait pourquoi on faisait un tel cas d’un bâtiment aussi banalement baptisé « Unité d’Habitation ».
Curieux, Stéphane se gare lentement dans la contre-allée, et se glisse tel un chat dans la lumière stroboscopique des camions de pompiers qui luttent contre l’incendie ravageuse. Il allume une Marlboro Light, et avance de quelques pas, attiré par les flammes. Le fada avait voulu inventer une nouvelle manière de vivre, mais tout ce que voulait Stéphane, c’était se réchauffer, fût-ce au prix d’un autodafé.
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Happy House (2022)
140x100cm
Chinese ink and acrylic on rice paper and canvas
Sold