Les doigts délicats de Tetsuo parcourent fébrilement la peinture de l’acier recouvrant les parois de sa capsule qui sent encore la colle et la peinture. Dans la mégapole surpeuplée qu’est Tokyo, ces quatre tatamis de quiétude perchés dans la rutilante Nagakin Capsule Tower constituent pour lui la preuve tangible qu’un monde meilleur se profile, porté par le progrès et l’innovation.
Jamais il n’aurait pensé pouvoir un jour vivre en lisière d’un quartier aussi chic que Ginza. Avec un sourire intérieur, il allume et éteint à plusieurs reprises le téléviseur de marque Sony, comme pour vérifier qu’il est bien là, à son service, et non un simple trompe-l’œil en carton-pâte destiné à flatter l’orgueil de son bienheureux propriétaire. Il s’émerveille de l’ingéniosité de l’architecte qui a imaginé les lignes qui le mènent à coup sûr vers une vie nouvelle, autonome, peuplée de promenades nocturnes.
Désormais, il n’aura plus à subir quotidiennement l’interminable trajet en train pour se rendre au travail, ni à subir la promiscuité monotone des uniformes de salary men. Cette informe grisaille textile hantait sa vie plus de quatre longues heures par jour. Mais il est avant tout japonais, or la force d’un Japonais est d’abord intérieure. Ce super-héros est doté d’un champ de force invisible, qui le rend capable de générer une bulle de silence et de tranquillité, quel que soit son environnement, fût-il celui d’un train bondé où chaque centimètre carré est habité d’un souffle humain. Elle lui permet d’affronter toutes les foules pour aller travailler. C’est sa signature en bas du contrat social. Sans elle, le Japonais deviendrait probablement fou, le fonctionnement de l’ensemble de la société serait déréglé, et l’anarchie règnerait. Il en était certain.
Il est 16h passé, et Tetsuo a envie d’un bol de nouilles bouillant, avalé d’un vibrant tsuru-tsuru. Mais plutôt que de dévaler les 11 étages qui le séparent de son nouvel étal favori, il a envie de profiter de son nouveau gadget : un réchaud portatif livré avec la minuscule cuisine. Fébrilement, il prépare le paquet de nouilles instantanées qui prennent instantanément un goût différent des milliers d’autres qu’il a pu déguster : celui de la solitude tant désirée.
Paradoxalement, cette solitude nouvelle chèrement acquise lui permettra peut-être de ne plus vivre seul. A présent, il est là où il faut être. Se pavaner le soir à Ginza, c’est aussi montrer qu’on peut se le permettre ! Peut-être osera-t-il enfin demander à Kiko de sortir avec lui. Ils feraient du lèche-vitrine, il l’emmènerait voir l’horloge Seiko qui trône sur les grands magasins Wako, puis, au bout d’un certain temps, il l’inviterait vaillamment à grimper la double-tour de béton, et il lui montrerait la télé, la radio, la chaîne hifi et le téléphone encastrés. Peut-être serait-elle favorablement impressionnée ?
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Capsule (2022)
100 x 140 cm
Chinese ink and acrylic on rice paper and canvas
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